« Nous avons peine à comprendre que
le contact avec les autres en est un avec
nous-mêmes. L’un ne peut aller sans l’autre. Notre
présence au monde nous plonge nécessairement dans un
réseau de relations et d’influences, et l’expérience
que l’on en fait nous convainc que l’autre n’est
jamais le contraire de nous-mêmes. Nous sommes
fondamentalement de la même essence, de la même
condition, et nos épreuves sont communes. Cela fait
de l’autre notre semblable, sans rien perdre pour
autant de notre singularité et de notre altérité.
Nous sommes aussi l’autre tout en étant nous-mêmes.
Nous faisons tous partie du genre humain et, à nous
seuls, nous ne constituons ni une race ni une
espèce. Seuls nos égoïsmes et nos travers, du
domaine de l’idéologie et de l’avoir, occultent une
telle fraternité. L’avenir de notre humanité dépend
de cette priorité de l’être. Nous demeurons
toutefois, et indépendamment des équilibres auxquels
nous sommes parvenus, des êtres foncièrement
limités. Notre condition humaine est tout sauf un
modèle de perfection. Nous restons soumis aux
mésententes de la chair et de l’esprit, de
l’animalité et de la spiritualité; nous nous perdons
en cours de route et fréquentons les eaux glauques
de l’obscurité, cette face cachée, souvent peu
glorieuse, de nous-mêmes. N’étant que des êtres de
passage, nous nous exposons délibérément à la
tentation de l’excès. Et même si, pour nous
ressaisir, nous revenons aux chemins de l’esprit,
nous gardons en nous la mémoire du doute et des
incertitudes. N’étant que des êtres provisoires,
dont l’issue temporelle est connue, nous essayons de
vivre du mieux que nous pouvons, en attendant de
traverser cette dernière ligne d’horizon où la mort
nous attend, sur les chemins de l’absence.»