(Suite et fin de l’interview réciproque entre Alain Facélina et Frank Hatem)
Frank HATEM : On disait que ce qui est réel c’est la relation entre deux êtres, et non les deux êtres qui ne sont que la manifestation apparente de cette relation dualiste. Et pour toi, chaque relation est en train d’évoluer vers une harmonisation, une « orchestration des liens » qui est une complicité transcendant les humains en cause. Mais penses-tu que cette complicité puisse être générale au point que l’humanité tout entière connaisse l’harmonie ?Alain FACÉLINA : On a la chance extraordinaire d’être libre. Cela veut dire que tous les états possibles peuvent exister. Donc que cette complicité soit « générale », sans doute non, car il y aura toujours beaucoup de personnes qui ne seront pas prêtes à cela, pour un temps, ou qui, pour des raisons diverses, n’auront pas envie de basculer dans ce type de fonctionnement. Mais cela deviendra général.
F. H. : Ne penses-tu pas qu’il existe cette Terre sur une autre dimension où les hommes vivent tous ainsi, et que le niveau où nous vivons maintenant, où il n’y a pas beaucoup de cette complicité, existera toujours aussi, et c’est nous qui passons de l’un à l’autre, pas l’humanité qui change ?
A. F. : J’avais lu quelque part, mais je le confirme avec ce que je ressens, que l’expérience « Terre » est unique dans l’univers. Je n’en sais rien en fait, et n’ai aucune idée là-dessus, mais la Terre est une expérience étonnante où nous avons la capacité de gérer une multitude de dimensions en nous. Et nous allons, me semble-t-il, vers une conscience à la fois très individuelle et merveilleusement collective. L’orchestre est une bonne expression de cela. Dans un orchestre, un soliste, c’est merveilleux, il faut peut-être des solistes, mais c’est grâce à l’orchestre qu’ils peuvent s’exprimer. Chaque instrumentiste est un vrai musicien, capable de jouer seul. L’orchestre apporte une autre dimension à chacun. Il se passe autre chose que si chacun joue pour lui.
F. H. : Oui, parce que là chacun est inspiré par un idéal commun.
A. F. : Tout à fait.
F. H. : Chacun sait ce qu’il veut obtenir comme résultat, c’est une règle commune.
A. F. : On pourrait dire que ce ne sont que des machines qui obéissent bêtement à la baguette du chef, mais non, pas du tout. Au contraire, c’est là qu’il y a un cœur et un chœur d’inspiration, d’interprétation.
F. H. : Et donc, la différence selon toi entre le monde passé et le monde futur, c’est que dans le monde passé chacun joue sa propre partition et n’en a rien à faire des autres. Et dans le Nouveau Monde, la partition est commune et chacun a envie de la jouer à la perfection pour permettre à chacun de s’exprimer ?
A. F. : Commune, oui, mais avec une particularité, c’est que la partition on va la cocréer.
F. H. : Elle n’est pas écrite à l’avance, mais on se fait confiance pour cela ?
A. F. : Si je compare les animaux et les humains, face à une situation de peur, un animal va fuir, va être agressif ou nier la situation en manifestant une indifférence déplacée. L’humain peut avoir le même comportement animal, mais il peut aussi avoir un comportement qui lui est propre. Il va choisir. Si tu me mets une claque, je suis susceptible de tendre l’autre joue, c’est un choix.
F. H. : Ce n’est pas ce que tu as appris en arts martiaux.
A. F. : La finalité de l’Aïkido, par exemple, c’est de montrer à l’autre que cela ne sert à rien, ses attaques sont vaines. La finalité du Kendo, qui est une escrime, c’est de ne plus avoir besoin de sortir son sabre. La finalité d’une pratique d’art martial, c’est de ne plus en avoir besoin.
Et donc, à chaque fois que tu fais un choix dans ta vie, c’est comme si tu mettais une note sur la portée. Tu as des gens qui sont conscients de temps en temps, une fois tous les dix ans. Il va y avoir une note tous les dix ans sur la portée. Mais pour peu que tu deviennes un peu plus conscient, jusqu’à être conscient de chacune de tes pensées, tu peux faire par minute, un certain nombre de doubles croches, ou de quadruples croches. Donc, chacun est cocréateur de la partition. C’est ça la grosse différence. On n’est pas en train de dire « je prends telle partition et on va l’interpréter. »
Bien sûr, il y a des partitions qui sont communes, parce que cela nous donne un entraînement indispensable, cela nous positionne dans l’apprentissage. Mais quand on devient libre ou adulte, on a le droit d’être cocréateur de la partition, qui ne peut plus être interprétée tout seul. On est devenus vraiment interactifs.
F. H. : Mais qu’est-ce qui fait que chacun peut devenir cocréateur de la « fourmilière », par exemple, qui globalement est une harmonie, sans se concerter ?
A. F. : Tu m’as donné la réponse ce matin. C’est parce que derrière tout cela, c’est la même conscience.
F. H. : Oui, cela veut dire que ce changement-là passe par le renoncement à l’ego qui ferait que chacun travaillerait pour lui-même, et par la reconnaissance du fait que nous sommes transcendés par quelque chose de commun, que nous avons le même esprit, que nous avons tous besoin les uns des autres pour nous réaliser. Mais est-ce suffisant ?
A. F. : Cela passe par l’acceptation de choisir et de se libérer de la peur. Donc, de se libérer de nos mécanismes de survie induits par le mental, pour être désormais à l’écoute, vraiment, de ce qu’on appelle le cœur, notre intérieur, et de suivre notre inspiration intérieure.
F. H. : Si l’on suit l’inspiration intérieure, est-ce que la partition va être forcément commune ?
A. F. : Non seulement la partition va être commune, mais elle va être d’une diversité extraordinaire, un bout d’herbe ou un brin de muguet ne ressemble pas à un chêne. La nuit ne ressemble pas au jour. Il va donc y avoir, apparemment, des objectifs complètement contradictoires. Si je prends mon regard de dualité, entre le désert et la mer, c’est clair que je ne peux pas comprendre ce que veut la nature. Il y un truc qui est chaud. Il y a truc qui est froid. Il y en a un qui est grand, l’autre petit. Je ne comprends pas.
L’harmonie va naître de la diversité. Il y a un métaniveau. L’harmonie, l’unité vont naître de cette diversité, parce qu’il n’y a pas que la diversité, il y a aussi la Transcendance. C’est une émergence.
F. H. : Pourquoi n’y a-t-il pas déjà actuellement cette harmonie ? Parce qu’il y a la diversité, déjà.
A. F. : La diversité est là et il y a des schémas d’harmonisation.
F. H. : Mais il n’y a pas d’harmonie, ou il y a harmonie ?
A. F. : Si, il y a des harmonies, bien sûr.
F. H. : Il y a une véritable harmonie globale, même dans la guerre, même dans le chaos apparent. C’est ce niveau de vibration qui veut ça, il est nécessaire, et le fait que chacun tire la couverture à lui-même contribue à réaliser cette partition cacophonique, nécessaire tout autant que la paix sur d’autres plans. Il ne s’agit pas de comparer l’harmonie à laquelle nous rêvons avec une soi-disant dys-harmonie présente. Car quand nous serons dans l’autre dimension, nous aspirerons encore à une harmonie plus grande. L’harmonie, cela consiste à LA VOIR. Elle est là et c’est si je la vois que je crée l’harmonie. Si je ne la vois pas et que je veux changer les choses, je me fourvoie. C’est mon regard que je dois changer, car tout est ce regard et cette écoute, et c’est cela qui fait qu’on change de Dimension.
A. F. : Chacun de nous a sa propre partition, qu’il écrit. Et il découvre, avec stupéfaction et émerveillement, que l’autre, dans sa partition, est lui-même en accord avec la nôtre.
F. H. : Donc, c’est magique !
A. F. : Voilà, c’est magique. C’est merveilleux.
F. H. : En fait, il n’y a pas de partition, mais juste une façon d’écouter les autres jouer.
A. F. : Il y a juste ce que nous sommes, en tant qu’expression de la Vie.
F. H. : Il n’y a pas de partition réelle parce qu’il n’y a pas d’œuvre commune prédéfinie. Ce n’est pas une fourmilière où chaque fourmi, même si elle ne sait pas qu’elle construit une fourmilière, la construira de toute façon. Nos décisions individuelles déterminent notre monde commun, qui tiendra sa place dans le grand concert de tous les mondes.
Et ce qui m’intéresse, moi c’est ce Grand Concert. Dans lequel notre petit concert humain prend place. Une fourmilière peut en cacher une autre, plus grande, qui la contient. L’harmonie est inéluctable. Il n’y a jamais rien eu d’autre que l’harmonie, ce qui change, c’est qu’on la voie ou qu’on ne la voie pas.
A. F. : Je ne sais pas, parce que je ne sais pas ce qu’est une fourmilière, globalement. Je pense que l’on sous-estime tellement ce que peut être une fourmilière. Je vois bien aussi la fourmilière comme une expression de conscience, à laquelle je n’ai pas forcément accès. Je sais que j’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour les fourmilières. Il y a peut-être un hasard. Il n’y a peut-être pas de hasard.
F. H. : S’il y avait un hasard, il y aurait peut-être un jour une fourmilière par miracle, mais il n’y en aurait pas deux. Il y aurait peut-être un humain un jour, mais il n’y en aurait pas deux. Et surtout pas deux qui cherchent la même harmonie, la même paix. C’est cela qui crée toutes les fourmilières de l’univers : la recherche de la paix. Quand la Terre tourne autour du Soleil, elle cherche la paix, mais a du mal à la trouver.
Ce qui fait que nous sommes tous en recherche de la même harmonie, et qui fait que tout l’univers est un grand concert cosmique, et à tous les niveaux, c’est que le BUT est le même pour tout le monde, tout simplement parce que c’est le But qui nous crée, et c’est du But que nous sommes imprégnés et animés. Il n’y a pas un atome qui ne soit l’expression de ce but. On peut croire au hasard si on est trop attaché à l’ego, car l’ego veut être le décideur et il ne l’est pas. C’est le But qui décide. Pas le mental. Le mental est son instrument. Lorsque la chenille devient papillon, est-ce la chenille qui décide ? Certainement pas. La chenille, elle, veut surtout rester chenille. Elle a peur de tout changement. Elle sait qu’elle va souffrir. Elle s’accroche à son passé. Mais elle n’y peut rien. Le papillon va naître et elle va disparaître. Qui donc décide à sa place ? La partition est déjà écrite, elle est inconsciente, et son conscient ne peut que s’y soumettre et lui obéir. Et en faisant ainsi, elle contribue à la Grande Interprétation du Concert cosmique. Sans cette chenille acceptant sa transformation, rien ne serait. Nous sommes tous des chenilles, insatisfaites de notre condition de chenille, mais apeurées à l’idée de changer, et accrocher à nos habitudes personnelles qui donnent à notre monde des allures de chaos. Pourtant nous n’y pouvons rien : nous allons changer. Mieux vaut donc s’y prêter résolument, plutôt que de résister frileusement.
C’est le papillon qui décide. C’est le PLAN. C’est l’objectif. Il n’est pas là, pas encore là, mais c’est Lui qui décide. Seul un but engendre l’énergie qui fait que l’univers est un perpétuel changement. Il ne peut y avoir de hasard, car il y a un but. C’est l’un ou l’autre. Ou bien c’est la matière brutale et stupide, sans but, et tout est régi par le hasard, et au bout du compte il n’y a rien, même pas un atome, car tout est parfaitement ordonné pour « être », et donc l’idée de « chaos » est une absurdité, ou bien c’est le But, et le but c’est l’esprit. Il n’y a que cela. Il n’y a jamais rien eu d’autre, il n’y aura jamais rien d’autre, c’est la seule possibilité, la seule NÉCESSITÉ. C’est pourquoi le seul fait de dire « je suis » nous condamne à l’harmonie, même si on fait tout pour y échapper, et la relation à autrui qu’est ce « je suis » est toujours harmonisée avec toutes les autres relations, quel que soit le regard qu’on porte dessus. Il est normal d’en être insatisfait, puisqu’une chenille sera toujours tirée en avant par un papillon encore virtuel. Sinon elle ne serait pas. Mais être insatisfait de la relation ne veut pas dire que quelque chose soit mauvais.
A. F. : L’harmonisation du lien, c’est ne pas juger l’autre, et ne pas juger, c’est ne pas se soumettre au mental.
F. H. : Moi, j’ai toujours pensé que le mental est le robinet du cœur. C’est-à-dire que c’est le mental qui ouvre et qui ferme le robinet. Et donc, que c’est sur le mental qu’il faut agir si l’on veut que le cœur s’ouvre. Et pas sur le cœur, il n’y a rien à faire au niveau du cœur. Tout est à faire au niveau de la discipline du mental, de la maîtrise du mental, de la non-identification au mental. Que le mental devienne au service, et que ce ne soit pas le mental qui dirige. C’est ça, pour moi, qui est le chef d’orchestre. C’est sur le mental qu’il faut agir. Et c’est à cela que sert, pour moi, la métaphysique. Parce que c’est avec elle que le mental va accepter de se soumettre à des choses qui sont non mentales. Il n’y a pas d’autres moyens, pour que le mental accepte le Vrai, de lui donner des nourritures qu’il est capable d’absorber. C’est-à-dire des nourritures rationnelles, qu’il ne peut pas refuser. Alors, au début, cela lui est très facile au mental de dire « Ouais, bon ! Tout ça, c’est des chimères ! La spiritualité, l’unité, c’est bon… prouvez-le ! L’esprit est éternel, d’accord, je veux bien, mais j’ai l’impression que je vais mourir quand même, et puis je ne suis pas sûr que je sois le créateur de mon univers, car j’ai bien l’impression qu’il se crée sans moi. Et puis me dire qu’il n’y a pas de hasard, cela ne passe pas. Tout est le hasard dans ma vie. » Le mental va toujours être comme cela, en rébellion par rapport au cerveau droit. Parce qu’il ignore le But inconscient qui le manipule comme une marionnette. Et que comme il est seul conscient, il ne comprend rien à ce qui arrive. Pour commencer d’être en paix, il faut accepter que le conscient n’est pas le décideur. Qu’il est au service du Décideur. Certes, il décide au jour le jour, mais dans le cadre d’un Plan qui le dépasse et qu’il a toutes raisons d’ignorer, et qui fait que chacune de ses soi-disant improvisations fait l’harmonie du Grand Concert cosmique. Tant que je ne crois qu’à mon ego conscient, je crois être la chenille, et je ne sais pas où je vais. Avoir foi dans le papillon encore invisible est la seule issue pour harmoniser les liens et vivre l’évolution dans la joie, et cette fois cela se construit par la compréhension, par la sagesse. Je pense que pour beaucoup de gens, pour la majorité des gens qui sont « matérialistes », qui défendent leur ego et qui sont prêts à tout pour avoir raison, pour avoir le pouvoir, pour garder leurs prérogatives, c’est la métaphysique qui peut les aider changer et à harmoniser leurs relations, car c’est la Métaphysique qui va expliquer au mental à quoi il sert dans une logique qu’il peut admettre. Est-ce que c’est vain, ou est-ce que cela peut être utile ?
A. F. : Alors, la première chose que tu me renvoies en miroir, c’est l’expression d’un patron d’un grand groupe agroalimentaire qui m’avait embauché pour que je pratique l’accompagnement au changement dans le groupe. Il m’avait donné comme motivation pour ma sélection à ce poste-là, le fait que j’étais « capable de manager rationnellement l’irrationnel ». Et effectivement, tu as raison. Je pense qu’il faut passer par le rationnel pour accéder à ce qu’on appelle l’irrationnel parce qu’il n’est pas matériel. Maintenant, je pense que ton chemin de la métaphysique peut être un chemin royal pour bon nombre de gens, mais qui présente une fenêtre très étroite, pour l’instant dans son expression, car cela s’adresse à des gens qui ont un mental vraiment très aiguisé. Ce qui fait que ceux qui n’ont pas un mental suffisamment scientifique, ou une rigueur d’analyse, qui ne sont pas capables d’approfondir des sujets, qui ne se sentent pas, dans leur nature, faits pour étudier méthodiquement, ne pourront pas accéder à ce type de cheminement.
F. H. : Cela peut quand même toucher tout le monde. Parce que lorsque je déroule comme cela tout un cheminement rationnel avec tous les éléments « vous voyez bien que ce But suffit à créer l’énergie, puis la matière, les atomes et tout ça… » évidemment cela ne s’adresse pas à tout le monde. Mais pour tout le monde, il y a des éléments rationnels qui peuvent le faire changer, car tout le monde a un mental qui recherche le rationnel. Il y aura toujours une question rationnelle s’adressant à leur mental qui pourra le faire twister. Il n’y a pas besoin de tout le cheminement, il y a assez d’une graine. Mais cette graine doit s’adresser au mental. Tu vois ce que je veux dire ? Cela apportera une foi croissante et irrévocable. C’est cela qu’on développe dans le nouveau livre qui vient de sortir (uniquement par correspondance sur le site hatem.com) : « Et l’Univers Fut » (réédition largement améliorée et complétée du livre de 1973). Le mental ne peut pas s’échapper, à un moment où un autre la graine est plantée et elle peut se développer extrêmement vite et faire qu’une vie soit désormais dominée par la certitude, la foi créatrice et l’harmonie plutôt que par le doute et le hasard.
A. F. : Oui !
F. H. : C’est en posant des questions qu’on remet en cause les fausses réponses. Quelqu’un qui dit « Vous voyez bien que la matière existe ! Si je me cogne contre le mur, cela fait mal ! Donc la matière est réelle », eh bien cela n’est pas rationnel, il faut le ramener au rationnel que son mental refuse, mais est capable d’accepter. « Eh bien oui, effectivement, cela fait mal, donc c’est une sensation, donc c’est l’esprit ! En quoi la sensation prouve-t-elle la matière ? Elle ne prouve que la sensation, donc l’esprit ». Donc c’est une question que se pose le mental et qu’il ne pourra plus ne pas se poser.
A. F. : Si je saigne, ce n’est pas une sensation, je vois bien le sang couler. Je me suis cogné le genou sur le sol, je vois bien le sang couler, ce n’est pas une sensation.
F. H. : Bien sûr que si ! Si tu vois le sang couler, c’est une perception. Qu’est-ce que c’est qu’une perception, sinon de l’esprit au même titre qu’une sensation ?
A. F. : Bon, j’aurai essayé.
F. H. : Et ainsi de suite… Tout ce que je perçois, à partir du moment où je le perçois, c’est forcément dans mon esprit, ce n’est pas à l’extérieur. Sinon, je ne le perçois pas. C’est la forme de ma conscience. À tout moment, ce que je perçois est la forme de ma conscience. À partir du moment où je perçois quelque chose, je peux être certain que cela « n’ex-iste pas », au sens propre, puisque cette perception est quelque chose d’intérieur qui ne prouve rien d’extérieur. Ce n’est pas extérieur, si c’est intérieur. Dire que quelque chose existe matériellement c’est dire que c’est « extérieur », mais aucune de nos perceptions ne le justifie.
A. F. : Cela pourrait être intérieur et extérieur.
F. H. : Qu’est-ce qui ferait qu’il y en aurait deux : une réalité intérieure et une réalité extérieure ? C’est déjà difficile d’en gérer une et de l’expliquer, ce qui est relativement aisé pour la création spirituelle, pourquoi irions-nous en chercher une deuxième, une réalité matérielle en plus, que rien ne prouve, et qui, si elle existait, ne pourrait être expliquée ? Ce serait inventer, en plus de l’univers (le mien), un autre univers hypothétique, dont je n’aurais pas conscience puisqu’il me serait extérieur, mais qui serait là et qui donc ne servirait à rien.
A. F. : Pour moi, mais peut-être pas pour d’autres.
F. H. : Ton argument est important, c’est ce qui a fait buter tous les philosophes sur l’évidence de la spiritualité de ce qu’on appelle « matière », considérant que tout le monde perçoit le même univers. Mais cette question disparaît lorsqu’on a compris ce qu’est l’esprit, d’où il vient et comment il fonctionne. Il n’y a pas plusieurs esprits juxtaposés, dont chacun vivrait un univers personnel, univers qui, dans ce cas, n’auraient aucun point commun. Nous sommes des esprits concentriques, parce qu’il y a un seul but et une seule cause. Et tout le monde se situe entre les deux. Et donc tout esprit individuel contient toutes les formes spirituelles qui lui sont antérieures par rapport à la poursuite du but, et c’est pourquoi il y a une grande proportion de l’univers qui nous est commune à tous. Ce n’est pas une hypothèse, on le démontre bien dans « Et l’Univers Fut », et quand on a compris, tout s’éclaire. On comprend que tout est spirituel, mais tout n’est pas que personnel. Il n’y a plus de raison de vouloir absolument une réalité matérielle objective. C’est l’attachement à cette chimère qui fait que les sciences, y compris quantique, sont dans l’impasse conceptuelle. On aboutit à ce genre de certitude en se posant des questions rationnelles. C’est de la maïeutique, ni plus ni moins.
A. F. : C’est Socrate.
F. H. : Et donc ça peut s’adresser à tout le monde, quand même. Beaucoup plus que les sciences qui reposent sur les Mathématiques. Cela est trop compliqué pour avoir des chances d’être vrai. La Logique n’a que faire des Mathématiques.
A. F. : Sur le mental, j’ai une vision de biologiste sur le sujet qui me ramène à nos premières expériences. Dans le sens où, si je me trouve en danger, poursuivi, non pas par un dinosaure, mais par un tigre à dents de sabre et que j’apprends à monter à l’arbre pour me sauver, et ensuite que j’apprends à me réfugier dans une grotte pour ne pas avoir froid, ou que j’apprends à planter des cultures pour ne pas avoir à chasser tout le temps, etc. Je survis à ces différentes épreuves grâce à mon mental. Mon mental devient un outil d’adaptation qui me permet de survivre, qui me permet de réagir et qui devient une arme. Et du coup, il prend le pouvoir en me guidant toujours dans la direction de ma survie maximale. Mais cela veut dire qu’en suivant le cheminement de mon mental, je poursuis profondément le cheminement de mes peurs. Comme un animal au lieu d’être un être humain.
Je me rends compte que l’une des capacités extraordinaires que j’ai est celle du libre arbitre, celle du choix. Je vais m’apercevoir, que dans mon quotidien, la majorité de mon énergie est au service de mon mental pour me défendre de manière réactive, ou préventive, aux peurs. Et donc, sur cent pour cent d’énergie, je vais en consommer soixante-quinze à quatre-vingts pour cent, juste à gérer le mental vis-à-vis de ces peurs. Et je me rends compte que je consacre très très peu de temps à me choisir réellement, à choisir ce qui est vraiment en moi mon véritable moteur. À être vraiment humain. Eh bien, prendre conscience de ça et se dire « OK, si j’accepte de déplacer mon utilisation d’énergie, mon curseur, et que cette énergie, que je consomme inutilement à gérer les peurs, je la mettais plutôt à construire mes choix », cela va m’obliger à laisser tomber le fonctionnement abusif du mental.
F. H. : Oui, et il y a une autre façon, je pense : le fait que le mental t’aide toujours à t’en sortir dans toutes les situations de la meilleure façon prouve bien que ton mental est subordonné à quelque chose qui est profondément toi, qui n’est pas mental. Parce que ce n’est pas le mental qui veut vivre et présente les solutions.
A. F. : Oui, tout à fait.
F. H. : Il y a quelque chose qui fait que le mental fonctionne, et le mental est au service de « ça ». Et ce « ça » est encore plus élevé que le destin personnel, que la volonté personnelle, que la mission personnelle, etc., et peut effectivement utiliser le mental comme instrument. Le simple fait d’observer le mental (tous les bouddhistes diraient la même chose), d’être spectateur du mental et de voir qu’il est manipulé lui-même par quelque chose qui est vraiment soi, une volonté de vivre, met en évidence un But supérieur. Quel est ce but ? Quelle est cette volonté sinon la volonté d’infini ? On l’a déjà expliquée, la Nécessité du « Néant » et tout ce qui en découle. Le fait pour le mental de s’apercevoir qu’il est manipulé, et qu’il fonctionne très bien et beaucoup mieux comme étant manipulé, que quand il se croit le roi, lui permet de faire, d’un seul coup, confiance à ce qui le dépasse. Et cette confiance, c’est aussi l’ouverture du cœur. Cette confiance, c’est de se dire « oui effectivement, tous les jours, ce n’est pas un hasard, mon mental n’a pas eu son mot à dire pour me sortir de situations. Et à chaque instant, mon corps gère des tas de situations sans que j’intervienne consciemment ». Donc, j’ai un outil qui est manipulé d’en haut pour m’aider à me sortir de ces situations. Je ne vois pas pourquoi demain il arrêterait de me sortir de ces situations, car cela veut dire que la cause est toujours présente. Même si je ne la connais pas. Évidemment, je vais lui faire confiance. C’est une autre façon de construire sa foi.
A. F. : Et du coup, je ne suis plus dans le mental, mais le mental devient un outil. C’est bien vu !
F. H. : Parce que ce processus, le jour où cela ne fonctionne pas, évidemment on est mort, la question ne se pose plus. Donc la question se pose à chaque instant. D’autres m’ont dit qu’ils avaient la même impression : « Mais qu’est-ce que j’ai été protégé ! En fin de compte, tout ce qui m’est arrivé, c’était pour mon bien ! Et en fin de compte, tout ce que j’ai vécu dans ma vie, sur le moment je croyais que c’était catastrophique, mais en réalité cela s’est révélé la meilleure des choses au bout d’un moment. » etc. Moi, c’est mon problème ça. C’est de me convaincre que si cela a toujours été comme cela depuis la nuit des temps parce que je suis toujours ici malgré le fait que je suis passé par dix millions de vies où j’ai été trucidé, où j’ai tué, etc., on est passé par tout, on a été brulé, noyé, on a été dans des tremblements de terre et ainsi de suite. Et tout cela nous permet d’être là, maintenant. Il faut vraiment être borné pour ne pas continuer à faire confiance. Par-delà la mort.
A. F. : Attends, tu fais confiance alors que tu t’es fait trucider mille fois et que tu t’es fait avoir cent-mille fois ?
F. H. : Ben non, je fais confiance parce que je suis là malgré tout ça.
A. F. : Donc, tu survis. Tu as une forte capacité de résilience.
F. H. : Il y a quelque chose qui est infiniment plus grand que la vie et la mort. Le But qui gère à la fois la vie et la mort.
A. F. : Ce n’est pas impossible.
F. H. : Le problème, c’est de faire confiance à ça. Tant qu’il n’y a pas de confiance, il n’y a pas d’ouverture du cœur. Tant qu’il n’y a pas de sécurité, il n’y a pas d’ouverture du cœur. Et pour qu’il y ait de la sécurité pour le mental, il en faut un paquet. Avec la compréhension métaphysique, on a toutes les raisons de se sentir en sécurité et libre en même temps. Malgré toutes ces vies, ces expériences, ces tribulations, on n’a souvent rien compris, et on continue d’avoir peur. Faut le faire !
J’en profite pour renouveler notre invitation à laquelle personne n’a répondu la semaine dernière : y a-t-il des lecteurs (ou des chroniqueurs, pourquoi pas) qui ont envie d’être interviewés ? D’échanger sur ces sujets cruciaux pour notre existence ? Soit qu’ils ont des choses à dire, et beaucoup en ont, soit qu’ils ont envie de se découvrir au travers d’un dialogue métaphysique. La balle est dans votre camp.
A. F. : Pour ça, il va falloir ne plus avoir peur de se découvrir. On continue d’avoir peur, en général, parce qu’aujourd’hui on est dans une situation où l’on croit maîtriser notre environnement.
F. H. : Le mental veut tout maîtriser. Et on est d’autant plus matérialiste et attaché au pouvoir qu’on a davantage peur. Et la peur vient de l’incompréhension.
A. F. : On serait capable de se protéger dans plein de domaines, mais si on regarde bien, les peurs qu’on génère, c’est le résultat de nos relations. C’est nous-mêmes qui nous faisons peur dans nos relations, que ces relations soient des relations écologiques avec la nature, ou hiérarchiques, ou des relations conjugales, peu importe. On a peur, en fait, de l’autre.
F. H. : Les expériences ne génèrent des peurs que parce qu’il y a un attachement à l’image de soi. Et dans nos relations, c’est toujours notre image de nous-mêmes qui est mise en cause. Et c’est cet attachement à l’image de soi qui doit disparaître, y compris le fait d’être vivant qui est une image de soi. Je m’imagine que c’est bien quand je suis vivant et que c’est mal quand je suis mort. Alors que c’est totalement indifférent.
A. F. : Alors qu’effectivement, si je considère que c’est complètement différent, je deviens vraiment vivant.
F. H. : C’est vrai.
A. F. : C’est pour cela que dans l’Évangile il est dit que pour être vivant, il faut d’abord accepter de mourir.
F. H. : Et donc, ce à quoi il faut travailler, c’est au renoncement à une image de soi. Je suis, donc je ne suis pas une image de moi. Si j’ai une image de moi, je ne suis pas, je me limite à une image.
A. F. : Au reflet.
F. H. : Peut-être. Merci d’avoir été le mien en tout cas.
A. F. : Et réciproquement, Cher Ami.