La voie du cœur est celle qui permet à l’homme de comprendre et d’agir au-delà des apparences et de l’illusion. Identité des êtres « véritablement humains », elle nous pose aujourd’hui un réel défi. Combien d’entre nous serons prêts à le relever ?
Le nom de la déesse hindoue Maya signifiant à
la fois « illusion » et « mère du monde », il désigne aussi
la mère du très sage Bouddha. D’un point de vue occidental, il ne viendrait pas
d’emblée à l’esprit que les apparences pouvaient engendrer le monde et encore
moins des sages. C’est la capacité à faire face aux illusions et parfois même à
voir au-delà d’elles en sachant découvrir les voiles, qu’il est possible
d’atteindre le cœur des choses, et par conséquent, le cœur de soi-même. Ainsi, Maya
laisse-t-elle entrevoir le monde tantôt comme une illusion, tantôt comme une
sagesse selon le regard que l’on pose sur elle…
La voie du cœur est la voie de
l’amour
Dépasser les apparences implique donc de libérer notre
esprit, mais comment faire ? Là se situe précisément la voie du cœur. En
effet, l’esprit s’ouvre par la voie du cœur et, par conséquent, grâce à quelque
chose trop négligemment appelé « amour ». Nous vivons à une époque où
beaucoup en parlent mais presque personne ne le pratique car le véritable amour
exige humilité et désintérêt. Il ne saurait être possession mais dépouillement
et détachement. Nous confondons trop souvent amour avec avoir.
Où se situe l’amour ? Entre ce qui nous satisfait
exagérément et ce qui nous fait profondément souffrir ! Plaisir et douleur
sont tout juste des émotions variables, totalement impermanentes et qui vont
toujours de pair. Sitôt qu’il y a plaisir, il y a toujours douleur. On souffre
et on imagine immédiatement un plaisir pour compenser. En fait, l’amour se situe
entre les deux et au-dessus car il est sentiment et pas simplement émotion.
L’émotion est par nature éphémère, elle apparaît et
disparaît aussi soudainement. D’ailleurs, la quantité d’états émotifs est
impressionnante dès que l’on n’est pas bien concentré ! Le sentiment, lui,
dure. Il est le pendant de l’émotion à un niveau supérieur. Ressentir quelque
chose de profondément durable qui s’installe dans le Beau, le Bon et le Juste
relève du sentiment. Pour être sûr de quelque chose, laissons le temps agir car
il fait grandir l’amour et disparaître l’émotion. Mais parfois on ne veut pas
donner le temps au temps pour savoir et on s’engouffre dans la brèche de Maya.
C’est pour cela qu’on n’est jamais seul : on est au pire, avec ses
illusions, au mieux avec son esprit. C’est un choix…
Le juste positionnement par rapport
à l’amour
C’est parce qu’il est un sentiment, donc durable, que
l’amour peut être détaché, patient et peut résister. Il implique alors
conscience et pas simplement pulsion car il n’est pas impulsif mais responsable
et, par conséquence, serein puisqu’il n’existe pas d’amour véritable qui soit
angoissé ! Amour et confiance se tiennent par la main. L’amour qui ne fait
pas confiance n’est plus amour. C’est pour cela qu’il faut se déjouer de Maya
pour cultiver l’amour, sinon on tombe dans l’illusion.
La voie du cœur ne consiste pas simplement à aider
l’autre. Parfois, il est préférable de s’en dispenser afin qu’il s’aide
lui-même, justement. Parfois, demander à quelqu’un, en plein chaos, discipline
et combativité est la meilleure façon de l’aider. Alors pourquoi cette
difficulté à ressentir véritablement l’amour ? Etant harmonie, l’amour
requiert d’en avoir en très grande quantité en soi. Pour développer et
pratiquer la voie de l’amour, on est obligé d’accepter de s’harmoniser, de
s’équilibrer afin d’obtenir la plénitude. La quête de l’harmonie se révèle une
des premières quêtes essentielles pour sortir des apparences. Dans l’amour,
tout a sa place. Si on s’installe dans l’amour, une petite dose de plaisir ne
pose aucun problème. Le plaisir fait rêver et la douleur prendre conscience des
expériences. Tous deux peuvent rejeter l’amour mais lui les intègre.
La première qualité que nous devons donc posséder pour
nous libérer du jeu de Maya , et en même temps mieux l’apprivoiser,
est le courage, celui d’affronter la vie et ce que nous sommes, de ne pas
s’effondrer à la première chute et à la première blessure. Le fil d’Ariane, qui
est tout simplement la philosophie ou la sagesse, nous permettra de sortir du
labyrinthe que construit Maya.
Il y aura toujours un moment d’épreuve, de douleur par
rapport à l’amour. Il est impensable que quelque chose qu’on aime (un objet ou
une personne) à un moment donné, ne nous irrite pas, ne nous pose pas un problème.
C’est le moment de s’interroger sur ce qu’on veut d’elle ou de l’objet ou sur
ce qu’on peut offrir à cette personne. Se situer par rapport à ce qu’on peut
offrir est plus simple que se situer par rapport à ce qu’on veut obtenir, qui
en fait ne dépend pas de nous ! Or, l’unique chose sur laquelle on peut
avoir prise est sur nous-mêmes, sur ce qu’on peut donner et pas sur ce qu’on
est censé recevoir. Ainsi, les attentes deviennent plus claires et les
illusions s’amoindrissent. La sérénité l’emporte sur l’angoisse de ce qu’on
devrait recevoir. L’amour propre n’est pas amour. Pourquoi l’amour de l’esprit,
qui est inaltérable, devrait-il se chagriner ? La douleur, véhicule de
conscience et système d’alerte, nous demande alors : « À quoi n’as-tu
pas prêté attention ? Qu’est-ce que cela interpelle en toi ? (et pas
en l’autre) ? ».
La voie du cœur relie les contraires
Parvenir à cet engagement intérieur nous conduit vers
la responsabilité et à toucher cet amour qui est à la fois cœur et centre.
L’amour revêt maints visages : il est d’abord plaisir, son meilleur
accomplissement est la procréation. Il est ensuite protection, l’amour des
parents, par exemple. Puis, complémentarité à travers l’époux ou l’épouse. Mais
le plus important est l’amour de la sagesse. C’est la définition même de la
philosophie ! La véritable sagesse a toujours consisté en l’art de réunir
les contraires, de conjuguer les oppositions apparentes. L’intérêt du cœur est
d’être aussi un centre où les choses peuvent se relier. Aller au cœur des
choses est aller à l’essentiel. Pour aller au-delà de l’illusion, nous devons
toujours accepter de relier des choses contraires et entrer dans une logique du
« ET », et non dans celle du « OU » qui exclut et stoppe
net la voie du cœur : l’autre devient « le méchant » et moi
« le gentil ». Le véritable cœur n’est pas dualiste mais cherche
l’union et l’union la plus profitable est celle de la complémentarité. Assumer
ce qui est complémentaire ou différent en nous et dans l’autre implique un geste
de véritable amour, donc de sagesse. L’amour de la sagesse est l’art de pouvoir
relier les choses entre elles pour qu’elles soient unes et se complètent.
Le chemin qui conduit vers le labyrinthe, vers la
profondeur de nous-mêmes, est bâti par notre courage et l’amour des choses qui
nous enthousiasment, qui nous permettent de sortir des petits états plats de
l’existence. Il y a toujours une voix qui nous dit que nous pouvons être
meilleurs que ce que nous sommes. Il y a toujours un temps pour assumer une
véritable destinée qui nous transcende car sans amour nous ne ferions rien.
L’amour permet de sortir du labyrinthe que nous a préparé Maya.