A comme aimer
« Pour moi, l’amour est une valeur suprême qui préexiste, une énergie qui emprunte notre corps pour se révéler. J’ai écrit un livre avec le biologiste Jean-Marie Pelt (« Le monde a-t-il un sens ? », chez Fayard, NDLR) sur le fait que la vie sur Terre s’est organisée moins sur la rivalité que sur la coopération et la complémentarité. Dans la nature, rien ne s’oppose à rien. C’est l’homme qui a introduit la dualité. Et la dualité majeure de notre époque est celle qui oppose l’humain à la nature, à la vie, à sa vie. Aimer, au fond, consiste à retrouver notre alliance avec la nature. Je reste aussi très attaché à cet homme qu’on appelait Jésus-Christ, et à son message, plus nécessaire que jamais en ces temps troublés : “Aimez-vous les uns les autres.” En cette veille de fête, j’ai aussi envie de dire : “Aimez la planète en consommant moins.” Les enfants n’ont pas besoin d’une charrette de jouets ! Un soir de Noël, enfant, j’ai reçu une trottinette en bois. Soixante-dix ans plus tard, je m’en souviens ! Un seul cadeau choisi avec attention peut combler un enfant. »C comme colère
« Comment ne pas ressentir de colère face au pic de violence que nous traversons et face à la dégradation sans précédent de la nature ? Mais je ne la laisse pas grandir en moi. Je lui préfère l’indignation, plus constructive. Je suis indigné par l’absurdité de notre système matérialiste qui produit 30 % à 40 % de déchets et de rebuts, et qui incarcère à vie l’homme moderne dans un rôle de producteur-consommateur. Nous sommes prisonniers d’un superflu qui nécessite du travail, de la matière, des usines et qui pollue la planète. Même les leaders économiques s’interrogent sur ce système à bout de souffle, dont le déclin se traduit par la montée du chômage, de la pauvreté et de nombreux déséquilibres. Récemment, deux cents chefs d’entreprise sont venus en séminaire aux Amanins, le centre d’agroécologie que j’ai créé en Ardèche. Ils cherchaient un autre sens à leur existence que celui de la réussite sociale et matérielle. Vivre, est-ce simplement venir au monde, aller à l’école, apprendre un métier, travailler, puis mourir ? S’indigner, c’est le début de la libération, l’amorce d’un changement de paradigme. »D comme détermination
« Lorsqu’elle sert une finalité positive, la détermination est une puissante force de changement. Grâce à elle, à partir des années 1960, j’ai transformé un bout de terre aride en Ardèche en une ferme verdoyante, sans pesticides ni engrais chimiques. Aujourd’hui, je suis déterminé à rassembler après les Colibris et les Oasis en Tous Lieux, mouvements que j’ai initiés, j’organiserai en 2016 un grand forum civique national pour que les citoyens expriment leur créativité et leurs désirs. Les innovations sociales se multiplient dans l’écologie, l’éducation, l’économie circulaire, les énergies renouvelables… Je veux inventorier ces idées et agréger ces énergies dans une plateforme citoyenne qui montrera aux politiques, juste avant l’élection présidentielle de 2017, le pouvoir de changement de la société civile. »E comme élégance
« J’ai toujours trouvé dans la modération une forme d’élégance. Elle est esthétique dans le sens où la conscience révèle sa posture. Cette attitude est une résistance au conditionnement actuel de l’individu que la publicité installe dans une frustration permanente. Malgré la prospérité, ce système consumériste rend l’homme moderne avide, insatiable. Ce dernier tente de remplir son vide intérieur en devenant un bon pousseur de chariots de supermarché. La modération, au contraire, m’évoque une tranquillité, une forme de contentement, un sentiment de satiété, de satisfaction profonde de ce que l’on a. Elle ramène les choses à leur juste valeur. La sobriété heureuse permet de sortir du manque, de libérer de l’espace en soi pour la joie, la créativité, la beauté et le partage. »F comme féminin
« Je suis très blessé par le fait que le féminin soit de façon planétaire constamment subordonné, et non pas célébré comme il devrait l’être. Dans la précarité, le féminin est souvent plus puissant que le masculin. Au Sahel, dans des zones très arides, quand les familles n’ont plus rien, les femmes continuent à œuvrer, à aller chercher du bois, à entretenir le feu. Elles portent la société et sont plus enclines à protéger la vie qu’à la détruire. Aujourd’hui, dans cette période transitoire, indéfinissable, au nord comme au sud, elles se mobilisent pour le changement. Dans ma vie, de nombreuses femmes ont compté pour moi. À commencer par Michèle, mon épouse. J’ai aussi des amies chères, comme Marion Cotillard. Au-delà de son statut d’actrice, elle a une flamme en elle qui nous rapproche, un engagement sincère et profond vis-à-vis de la vie et de l’écologie qui me touche beaucoupbeaucoup. »I comme insurrection
« Je crois à une insurrection des consciences fondée sur la recherche de ce qui est juste. Cultiver son jardin, produire et consommer localement, n’importer que la rareté sur son territoire, choisir des circuits courts, aller dans les marchés, développer les potagers communautaires, éduquer ses enfants autrement plutôt que dans la compétition et la rivalité… »Toutes ces alternatives sociales sont des actes politiques. »J comme jeunesse
« Je crains l’invasion des écrans dans le quotidien des enfants, et qu’ils grandissent uniquement dans l’abstraction et le virtuel. Les plus jeunes ne devraient pas toucher un ordinateur avant d’avoir une véritable expérience du réel, qui passe par la nature, le contact avec les animaux et le développement manuel. Il faudrait leur donner accès à un jardin, les connecter aux forces de la vie, les aider à comprendre ce qu’ils ont dans leur assiette, développer leur habileté manuelle pour éviter qu’elle ne soit inhibée par le recours aux machines. Beaucoup de jeunes viennent aussi en Ardèche pour se former à l’agroécologie et aspirent au changement. Ils me donnent de l’espoir. »L comme lumière
« Étymologiquement, cCe mot signifie « lucidité ». Hélas, en ces temps d’obscurantisme, nous en manquons cruellement. Comme l’amour, la lumière préexiste au destin humain. Sans lumière, aucune plante ne pousserait. Nous pouvons la révéler en nous, car elle nous transcende. On parle d’individus éclairés, clairvoyants par rapport aux autres et à eux-mêmes. Trouver sa lumière, c’est explorer son intériorité, arpenter ce champ de contradictions tiraillé entre des pulsions destructrices et créatrices. C’est se reconnecter à cette vérité active en soi qu’est la nature. La façon dont la vie s’organise, dont elle se comporte, dont elle coopère, tout n’est qu’intelligence. Une personne qui s’inspire de la nature ne peut que trouver la lumière. »M comme mental
« On en a besoin, mais lorsqu’il est déconnecté du corps, il devient source d’angoisses. Il tourne, il mouline, il crée un excès de représentations négatives. Je regrette que, dans notre société désincarnée, le mental ait pris le pouvoir sur le sensoriel. On ne respecte pas son corps, que l’on nourrit avec une alimentation industrielle déséquilibrée et trop riche.À table, j’ai coutume de dire « Bonne chance ! » plutôt que « Bon appétit ! » à cause du taux de pesticides et de substances chimiques dans nos assiettes. Il faut incarner l’utopie, incarner une protestation positive par nos actes quotidiens, participer au changement du monde par notre propre transformation. Avec amour et modestie, en assumant notre responsabilité, en choisissant de mettre en cohérence notre vie avec nos valeurs profondes, nous pouvons avoir une puissance immense.
S comme soif
« Nous vivons dans une société anxiogène qui donne de l’importance à la matière, à l’avoir, au détriment de l’être. Elle procure des plaisirs éphémères, mais pas la joie d’exister. Du coup, beaucoup de citoyens errent dans une forme de tristesse, des carences terribles qu’ils essaient de combler par des anxiolytiques, une addiction aux écrans ou du divertissement… Cette insatiabilité est incompatible avec le bonheur. L’intériorité de l’homme moderne a soif. Comment l’irriguer ? Par le choix d’une vie simple et sobre, en harmonie avec l’environnement, qui procure un relâchement joyeux et tranquille. À Montchamp, en Ardèche, j’habite un lieu, pas seulement une maison. J’habite l’espace, l’immensité du ciel étoilé, la beauté du paysage. C’est la simplicité de la vie qui m’emplit et me fait sentir libre. Même en ville, nous pouvons créer des oasis pour sortir de la solitude, pour étancher notre soif de liens, de vivre ensemble et de solidarité. »T comme Terre
« Cette Terre, magnifique oasis au milieu d’un grand désert astral et intersidéral, nous n’en avons qu’une. Et je l’aime comme une mère, une fille et une amante. Malheureusement, l’homme la perçoit comme un gisement de ressources qu’il voudrait épuiser jusqu’au dernier arbre ou au dernier poisson. On ne détruira pas la planète, car elle a des capacités de régénération énormes. Mais on détruira l’espèce humaine, à cause de la toute-puissance infantile de l’homme vis-à-vis de la nature perçue comme une marâtre. L’humanité est en train de s’exclure de la vie. J’ai l’espoir qu’un jour proche nous deviendrons enfin intelligents collectivement. Cela ne se fera pas par décret. De nombreux citoyens sur la planète travaillent à créer une société positive, à forger un nouvel imaginaire. Il y a dans le monde assez de créativité, de potentialité et d’aspirations généreuses pour changer de système de valeurs. Pour que l’humain et la nature prévalent enfin contre le profit et le PIB. »Dernier essai paru : La Puissance de la modération, éditions Hozhoni.