"De la croyance à l'expérience directe
Des religions révélées à la révélation par l'auto-questionnement"
C'est étonnant comme la réalité intime de notre être propre est la chose la plus méconnue de tous les temps. Rien n'a été aussi négligé et aussi mal compris dans l'histoire humaine que ce que nous sommes réellement. Comment cet espace de Présence silencieuse, l'évidence d'être conscient d'être conscient, ce "Je suis", d'une simplicité et d'une innocence absolues, a-t-il pu donner lieu, par ignorance ou par manipulation, aux cruautés les plus répugnantes, demeure un mystère. La façon dont les hommes en général et, les religions officielles en particulier, ont réussi à occulter et à dénaturer cet espace de liberté inconditionnelle que nous sommes, est digne d'un film d'horreur ou d'un excellent thriller sur la théorie du complot.
Si l'on peut raisonnablement penser que l'origine des religions est pure dans le sens où elles ont certainement été l'écho d'une expérience directe d'un être ou d'un ensemble d'être illuminés, leurs disciples ou adeptes ont très vite transformé cette intuition première d'unité en idéologies, tables de lois et tout un appareil répressif. Ce qui débuta dans l'innocence tourna très très vite au vinaigre. Car les religions organisées comme le Christianisme, l'Islam ou l'Hindouisme, pour ne citer qu'elles, ne sont fondées in fine que sur l'avidité et la peur. Grosso modo, lorsque vous croyez aux préceptes de telle ou telle religion, on vous promet le paradis et les non croyants sont condamnés à l'enfer.
Dans toutes les religions, l'accent est mis sur l'acte de croire et jamais sur celui ou cela qui en fait l'expérience. L'attention est systématiquement tournée vers les perceptions. Jamais ces textes n'invitent au retournement de l'attention vers sa propre source de façon claire et simple. La source est toujours là-bas, jamais ici et maintenant. La source est quelque chose dont on peut éventuellement se rapprocher au travers d'un cheminement long et fastidieux - plusieurs milliers d'incarnations parfois -un chemin tortueux, semé d'embûches et de tentations, sur lequel il faudra accomplir tout plein de choses, renoncer à d'autres. Un chemin où l'accent est mis sur l'effort personnel, basé sur la bonne vieille méthode de nos "pater famillias" du bâton et de la carotte.
L'investigation du Soi et la libre exploration de ce que l'on appelle la nature de la réalité sont totalement ignorées et sont même perçues comme des actes sacrilèges et anti-religieux. On y prescrit l'obéissance aux préceptes et non l'auto-questionnement. Adhérer à des systèmes de croyances, religieuses ou autres est le principal obstacle à la réalisation de qui nous sommes, car elle met un frein définitif à toute velléité de vraie recherche.
Si les religions officielles parlent de la Vérité éternelle, ils affirment également que l'expérience directe de celle-ci ne peut être obtenue que par l'intermédiaire de la croyance qui, seule est censée détruire le doute. Le chemin vers la vérité comme nous le disions est un très long chemin qui passe par l'obéissance à la croyance. Mais aucune croyance n'est jamais assez forte pour contenir ni annihiler le doute. La nature même du mental est d'être duelle et de créer des paires de croyances duelles. La paix s'oppose à la guerre, le calme à l'agitation, la beauté à la laideur, le bien au mal, le juste à l'injuste, etc... Maintenir l'attention fixée sur une des paires d'opposées en ignorant l'autre est un exercice périlleux et pour ainsi dire impossible. La croyance qui est refoulée finit tôt ou tard par revenir en force et à nous jouer des tours.
La vie devient alors une lutte perpétuelle pour maintenir un des deux pôles et refuser l'autre. Vous voulez être serein et vous refusez la violence en vous et autour de vous, vous voulez paraître intelligent et vous cherchez à dissimuler votre niaiserie, vous voulez être fidèle et vous refusez de reconnaître vos trahisons, vous voulez être généreux et vous balayez sous le tapis vos épisodes d'avidité, vous voulez paraître spirituel, et vous faites tous les efforts du monde pour vous couper des interdits alimentaires, sexuels ou autres de votre religion préférée. Votre vie devient une lutte à mort pour maintenir la meilleure histoire possible et garder la face comme on dit. Toutes ces prétentions génèrent une dépense d'énergie colossale, à laquelle il faut ajouter les sentiments de culpabilité, de honte, de jalousie, de tentation de contrôle de son image par tous les moyens. Le refus de ressentir ce qui est et de laisser le réel être tel qu'il est coûte cher en dépense énergétiques.
C'est pour cette raison que les croyants deviennent souvent fanatiques, et que la relation entre croyant et fanatique sera toujours très ténue et ambigüe. La violence sous-jacente du croyant et, cela ne concerne évidemment pas seulement les croyances religieuses, vient justement de son impossibilité à refouler ou endiguer complètement le doute.
Or, le doute ne peut être véritablement dissout que lorsque l'être humain reconnaît sa vraie nature impersonnelle et que la personne est elle-même perçue pour ce qu'elle est : un flux impermanent de pensées, d'images, de sensations et d'émotions, auxquelles par ignorance, on s'identifie. La seule chose qu'on ne peut remettre en question est l'intime conviction d'être, l'évidence d'être conscient d'être conscient, l'évidence d'être la vie. C'est une expérience directe qui ne s'appuie sur aucune croyance, mais qui est réalisée lorsque les croyances d'être ceci ou cela sont vues comme étant de simples pensées et se dissolvent et révèlent avec encore plus d'évidence le Je sans forme et sans âge que je suis. Un Je impersonnel et universel qui n'est ni chrétien, ni musulman, ni hindou, ni homme, ni femme, ni âgé, ni jeune, ni même humain. Un Je conscient d'être conscient, dénué d'attributs, un Je sans limites, sans commencement et sans fin, un Je atemporel et inconditionné.
Les religions officielles ne parlent de notre véritable nature que par l'intermédiaire de certaines figures mythiques, incarnée par des êtres d'exception, quelques rares illuminées ou saints. La vérité est transcendante et pas immanente. Et ceux qui ont eu l'audace de découvrir cela en eux-mêmes et d'en parler furent ouvertement ont de tout temps été bannis ou condamnés à mort. Marguerite Porete, brûlée vive, le poète mystique soufi Hallaj, torturé et crucifié, Maître Eckhart, mort en route vers Avignon, la cité des Papes, où il était convoqué pour un procès en hérésie, sont quelques un des nombreux phares de l'humanité pour la plupart restés anonymes pour la postérité, ayant réalisé la Vérité impersonnelle en eux-mêmes.
L'identification à un système de croyances est le plus grand obstacle à cette simple reconnaissance de qui nous sommes vraiment vraiment.
Lorsque cette reconnaissance a vraiment lieu, nous réalisons que contrairement à l'enseignement des religions, le paradis était déjà là depuis toujours. Qu'il n'y avait rien à chercher dans un futur inexistant, et que toute tension vers le paradis ou tout espoir de salut étaient en fait le véritable enfer. C'est l'attente qui se révèle être infernale. La recherche d'un mieux, plus loin et plus tard sont soudain compris comme voilant la Vérité déjà présente en nous-mêmes. Dés que nous nous arrêtons de nous identifier avec la recherche, en réalisant que toutes les croyances ne sont que des pensées, nous nous rendons compte que nous sommes ici et maintenant cette Vérité que les religions situaient dans un avenir temporel ou géographique.
Dés que je cesse de rejeter ou de désirer, je réalise dans un instant de pleine présence silencieuse que je suis la Vérité. Et je peux alors communier avec cette parole de Jésus : "avant qu'Abraham ne fût je suis". La Vérité atemporelle attendait juste que ma prétention à être autre chose se dissolve en elle. Ce n'est pas une nouvelle compréhension intellectuelle, c'est un changement de paradigme et un vécu direct. Au lieu de croire que vous êtes un individu séparé des autres et du monde, doté d'une conscience limitée, vous réalisez que vous êtes la Conscience illimitée et sans âge, dans laquelle ce que vous pensiez être ne fait qu'apparaître et disparaître en tant que simples pensées, sensations, émotions, et perceptions.
Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?